Les personnages se montrent dans leur vie de chaque jour. L’appartement devient l’émanation et représentation d’un paysage intime. Les prises de vues ne sont pas accomplies dans l’urgence de l’événement à saisir, du spectacle à capter. Au contraire elles sont le fruit d’une minutieuse mise en scène, dans un espace où la lumière tient le rôle déterminant d’écriture des saisons et des heures. Corrélations adopte délibérément une volonté et un statut autobiographiques. La mise en scène strictement pensée de ces micro événements n’est pas l’exercice narcissique d’un double auto portrait, mais une esquisse discrète de dialogue avec quiconque est en mesure de regarder.
L’œil suivant les courbes, les lignes, s’arrête sur les visages et les regards, et découvre in fine le cordon noir du déclencheur qui traverse l’image vers le hors cadre, vers nous. Le tour de force d’Aglaé Bory consiste à établir un rapport direct avec le regardeur, à le situer dans une posture non de voyeur, mais d’observateur, de lui signaler sa place exacte d’invité.
Ici, tout peut se répéter chaque jour presque à l’identique : le repas, le sommeil, le jeu, le bain, les promenades et les devoirs. Un éternel retour que seule la lumière changeante fait évoluer, auquel elle confère sa dynamique. Les moments évoqués prennent une dimension atemporelle, un statut flottant. Chimiquement condensés, ils deviennent le substrat du quotidien ; dépouillés de leur insignifiance, ils atteignent à l’archétype. Chaque spectateur peut, dans une démarche presque fictionnelle, identifier des fragments de son propre temps, coller à une biographie qui n’est pas la sienne et pourtant revêt un prestige d’universalité. Dans la subtile durée créée par Aglaé Bory, la différence se superpose à la répétition, l’émotion du particulier engendre le flux de la mémoire commune.
Extraits du texte de la préface «Cette femme avec cet enfant» par Anne Biroleau du livre «Corrélations», éd. Trans Photographic Press, 2011.