Ce travail photographique a été réalisé dans le cadre d’une commande des Rencontres Photographiques du Xème qui m’ont invité, au titre de marraine de l’édition 2019, à produire un travail dans cet arrondissement.
J’ai choisi de photographier le quartier de la Grange aux Belles et certains des jeunes garçons qui y vivent: ceux qui investissent l’espace public de la cité pour se regrouper.
La place circulaire au pied des immeubles est le territoire circonscrit de leur jeunesse et le lieu où ils déploient leurs amitiés et leurs existences collectives.
La cité constitue une autre entité, à contre courant de la société qui a bien des égards les rejette. Elle leur permet de s’exprimer, de trouver une place, un statut et une reconnaissance. Elle leur permet également de ressentir la certitude d’un destin commun face aux stigmates qu’ils éprouvent, de l’échec scolaire au chômage, en passant par le racisme. En s’appropriant cet espace, ces jeunes conjurent leur sentiment de dépossession sociale.
Les codes et les valeurs qui la régissent, leur permettent de créer une organisation basée sur la création de solidarités et d’interdépendance locales.
Il existe cependant une réalité ambivalente dans la cité, qui est à la fois le lieu communautaire de protection et d’appartenance face au “monde extérieur” jugé hostile et un espace d’aliénation dont il faudrait se détacher et s’échapper.
Les individus qui le composent y grandissent, s’en éloigne parfois pour souvent pourtant y revenir.
Un relai, une transmission de l’occupation de ces espaces se produit.
Le groupe reste tandis que ses membres se succèdent.
En dépit de cette apparente ressemblance des membres qui la composent, j’ai essayé d’entre-apercevoir leurs individualités.
Je me suis introduite dans leur monde, en cherchant la juste distance et j’ai tenté de poser sur eux un regard contemplatif et poétique à l’abri des regards du groupe.
J’ai réalisé des portraits que j’ai assemblés à des paysages de la cité.
Ces jeunes font partie prenante de l’insularité géographique de la cité, ils se fondent dans le décor. L’arène que constitue la dalle circulaire provoque un enclavement tel un giron. Les murs renferment en eux la trace de leur présence.
A travers ces superpositions photographiques qui les phagocytent , je tente pourtant de les distinguer, de rendre hommage à leur existences, de mettre en lumière le désir de trouver qui ils sont et leurs raisons de vivre.
Pendant ce travail, un des jeunes de la cité a été sauvagement abattu en pleine rue.
J’avais rendez-vous avec lui le soir de sa mort pour faire des photos.
Il n’est jamais venu. Il ne reviendra jamais.
Il est l’image manquante.
Ce travail lui ai dédié.