Ces photographies ont été réalisées aux bords de mers intérieures, la mer Marmara et la mer Noire. Les images sont prises à l’heure où¹ le jour s’efface pour faire place à la nuit. Entre chien et loup. La mer devient le décor de portraits en suspension. Des hommes regardent la mer, nous les voyons regarder sans voir ce qu’ils observent. Ce sont des photographies qui font état d’un processus de passage, où¹ les corps quittent l’activité de la vie diurne, s’immobilisent. L’horizon est comme un miroir de l’intériorité de chacun. Le paysage enveloppe les hommes et les femmes de sa vibrance, leurs regards le teintent de leurs vies intérieures. Le temps humain et le temps physique s’y confrontent. La mer demeurera, elle est ce qui perdure, ce qui nous survit. Sur le rivage, nous ressentons le défi incroyable que l’éternité lance à nos existences à travers le mouvement perpétuel de la mer.* Ou plus précisément, l’endroit où¹ nous sommes face à la mer, cette immense étendue qui nous autorise à penser, à retrouver en nous la plus essentielle solitude.
Les photographies seront prises dans différents pays, aux contextes historiques et politiques différents, mais le décor est la mer. Ce qui nous permet aussi d’accorder à une liberté intime et inaltérable. La mer est à la fois génératrice de vie et de liberté, force originelle, éternelle et maternelle et elle est aussi miroir du désespoir, de la condition et de la finitude humaine. La mer est également l’appel de l’ailleurs, la promesse d’horizons nouveaux, l’espoir de vies meilleures. Ces mers intérieures sont situées entre l’Europe et l’Asie, entre l’orient et l’occident, où¹ l’histoire des hommes est dense. Les paysages humains sont hors champ, mais leur présence sourde est tangible. Ces photographies ont pour ambition de créer des passerelles entre l’image et le symbole, entre le symbole et la réalité, entre le champ et le hors champ, entre les nations et l’universel.
Aglaé Bory
* Stig Dagerman in «Notre besoin de consolation est impossible à rassasier».